175

Maxime Bardou

Paysagiste-concepteur, 1994
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175.01

Relief du Causse Méjean

Dehors  ?

Les habitants des îles Fidji aiment le rappeler : la lenteur est un art de vivre. Non soucieux du temps qui passe, ils maquillent le rythme de la trotteuse au profit de leur «  fiji time  ». L’apaisement intrinsèque semble soudé à la vie insulaire. Dans un retour en arrière annoncé par l’exaspération du progrès, peut-on sous-estimer l’influence des paysages sur le rapport que  l’on entretient avec le temps ? La lenteur contagieuse et attachante des fidjiens viendra t-elle infuser dans les derniers archipels pacifiques de notre pays ?
Prenons le temps donc, dehors, à l’épreuve du terrain, et considérons comme Tim Ingold l’acte de dessiner comme une manière de dire. À ce sujet, le vieil anglais writan et le grec graphein ont tous  deux un rapport avec l’idée de gratter, de graver, ou d’inciser une surface à l’aide d’une pointe. (Derrida, 1967)

Medium
La « carte pastel », support mis au point par Sennelier pour la technique du pastel tendre, est constituée d’une couche granuleuse appliquée sur un carton bois. La surface abrasive, à l’allure du papier de verre, s’effrite au toucher. En grattant ou frottant le support, le grain sombre laisse place au carton clair.
Ce dossier retrace la découverte (par inadvertance) et l’exploration  d’un procédé graphique non conventionnel liant une carte pastel et une lame de cutter. Une grande partie des « grattages » présentés sont  extraits de mon travail de fin d’études sur le Causse Méjean, un paysage aride et lunaire. Le médium parle, avec son grain et ses imprécisions, des rondeurs et des lumières du paysage caussenard, rocailleux et infiniment sec. Le dossier est également ponctué de dessins de recherche qui m’ont permis de me familiariser avec le procédé graphique.

Trajectoires
1. Analogies photographiques
J’entretiens avec mes premiers grattages un rapport proche de celui de la photographie argentique : la recherche de lumière. Il s’agit de s’immiscer dans l’image latente et de prendre le temps d’extraire, grain par grain, chaque rayon de lumière,  rompant ainsi la relative instantanéité de la photographie.
Cette première étape, indispensable pour connaître le support et ses limites, me bride rapidement dans le respect de chaque valeur lumineuse.

2. Cartes nomades
La volonté de sortir d’une représentation « photographique », liée à la vue depuis le sol, m’a naturellement conduit à la cartographie.
Le support est désormais pris comme un espace d’expression plus libre, un échappatoire, où j’écris par des signes  instinctifs l’évolution d’un territoire qui se dévoile. La carte telle qu’elle apparaît est finalement la trace d’un voyage qui a déjà eu lieu. Le raconter est le dessiner. Cette démarche vouée à se poursuivre, sans objectif apparent, fige une déambulation.

3. Intonations
Alors que  l’approche photographique initiale tranche entre le lumineux et le sombre, que  la seconde préfère s’écarter d’une représentation « telle que  l’on voit », il est à présent envisageable de distinguer le plein du vide, le traversé de l’inexploré, le plat de l’abrupt, le souple de l’inflexible, etc. Quel sens donner à la surface grattée ? Il s’agit de jouer  avec la matière, et notamment de travailler sur deux  curseurs qui s’entremêlent : la tonalité produite par le retrait du grain et la technique de grattage : disposition de la lame, force, répétition. Dès-lors, je m’affranchis de certains détails et fais davantage de choix. Cette  manière d’appréhender le grattage, en décortiquant la façon même dont je l’opère, me libère de
nouvelles possibilités de représentation ; par exemple des  élévations à grande échelle ou des détails de fabrication.

Finalement, le « grattage » tel que  je l’ai expérimenté revient à explorer le champ des possibles offert par une  carte pastel de couleur quelconque et une  lame de cutter. Ce procédé reste encore largement à approfondir, par exemple en utilisant différents outils de grattage, en incorporant de la matière ou en travaillant sur la couleur.

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175.02

Carte nomade

Dehors  ?

Les habitants des îles Fidji aiment le rappeler : la lenteur est un art de vivre. Non soucieux du temps qui passe, ils maquillent le rythme de la trotteuse au profit de leur «  fiji time  ». L’apaisement intrinsèque semble soudé à la vie insulaire. Dans un retour en arrière annoncé par l’exaspération du progrès, peut-on sous-estimer l’influence des paysages sur le rapport que  l’on entretient avec le temps ? La lenteur contagieuse et attachante des fidjiens viendra t-elle infuser dans les derniers archipels pacifiques de notre pays ?
Prenons le temps donc, dehors, à l’épreuve du terrain, et considérons comme Tim Ingold l’acte de dessiner comme une manière de dire. À ce sujet, le vieil anglais writan et le grec graphein ont tous  deux un rapport avec l’idée de gratter, de graver, ou d’inciser une surface à l’aide d’une pointe. (Derrida, 1967)

Medium
La « carte pastel », support mis au point par Sennelier pour la technique du pastel tendre, est constituée d’une couche granuleuse appliquée sur un carton bois. La surface abrasive, à l’allure du papier de verre, s’effrite au toucher. En grattant ou frottant le support, le grain sombre laisse place au carton clair.
Ce dossier retrace la découverte (par inadvertance) et l’exploration  d’un procédé graphique non conventionnel liant une carte pastel et une lame de cutter. Une grande partie des « grattages » présentés sont  extraits de mon travail de fin d’études sur le Causse Méjean, un paysage aride et lunaire. Le médium parle, avec son grain et ses imprécisions, des rondeurs et des lumières du paysage caussenard, rocailleux et infiniment sec. Le dossier est également ponctué de dessins de recherche qui m’ont permis de me familiariser avec le procédé graphique.

Trajectoires
1. Analogies photographiques
J’entretiens avec mes premiers grattages un rapport proche de celui de la photographie argentique : la recherche de lumière. Il s’agit de s’immiscer dans l’image latente et de prendre le temps d’extraire, grain par grain, chaque rayon de lumière,  rompant ainsi la relative instantanéité de la photographie.
Cette première étape, indispensable pour connaître le support et ses limites, me bride rapidement dans le respect de chaque valeur lumineuse.

2. Cartes nomades
La volonté de sortir d’une représentation « photographique », liée à la vue depuis le sol, m’a naturellement conduit à la cartographie.
Le support est désormais pris comme un espace d’expression plus libre, un échappatoire, où j’écris par des signes  instinctifs l’évolution d’un territoire qui se dévoile. La carte telle qu’elle apparaît est finalement la trace d’un voyage qui a déjà eu lieu. Le raconter est le dessiner. Cette démarche vouée à se poursuivre, sans objectif apparent, fige une déambulation.

3. Intonations
Alors que  l’approche photographique initiale tranche entre le lumineux et le sombre, que  la seconde préfère s’écarter d’une représentation « telle que  l’on voit », il est à présent envisageable de distinguer le plein du vide, le traversé de l’inexploré, le plat de l’abrupt, le souple de l’inflexible, etc. Quel sens donner à la surface grattée ? Il s’agit de jouer  avec la matière, et notamment de travailler sur deux  curseurs qui s’entremêlent : la tonalité produite par le retrait du grain et la technique de grattage : disposition de la lame, force, répétition. Dès-lors, je m’affranchis de certains détails et fais davantage de choix. Cette  manière d’appréhender le grattage, en décortiquant la façon même dont je l’opère, me libère de
nouvelles possibilités de représentation ; par exemple des  élévations à grande échelle ou des détails de fabrication.

Finalement, le « grattage » tel que  je l’ai expérimenté revient à explorer le champ des possibles offert par une  carte pastel de couleur quelconque et une  lame de cutter. Ce procédé reste encore largement à approfondir, par exemple en utilisant différents outils de grattage, en incorporant de la matière ou en travaillant sur la couleur.

Biographie

Maxime Bardou est paysagiste-concepteur.
Par le dessin de grands paysages ou d’espaces publics, il s'investit dans l’adaptation des territoires aux changements climatiques.
S’il se sert volontiers de l’exploration comme un moyen de remise en question permanente des concepts et des idées, son approche du projet manifeste avant tout une attention aux lieux et à leur histoire.
Les travaux de David Hockney, les collages d’Yves Brunier ou les gravures rupestres animent le parcours de son écriture graphique.
Maxime Bardou est lauréat du Prix Desseins 2020