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Le dessin libère la pensée et écrit le projet.

Je suis paysagiste. Je me pose beaucoup de questions, peut être trop. C'est pour cela que je dessine. Sur la feuille je tente de canaliser les pensées pour qu'elles ne s'effacent pas. Je les mets en récit : c'est ainsi qu'elles se promènent dans ma tête. Les histoires sont facilement appropriables et par conséquent plus ouvertes pour celui qui se penche sur mes croquis. C'est nécessaire pour le projet de paysage car on ne travaille jamais seul. Il est important de faire place aux autres, même dans son dessin.

Lorsque j'ai commencé à dessiner, j'étais terrorisée par l'idée de rater un croquis ou de proposer quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j'avais en tête. Je faisais ainsi de nombreux brouillons, au crayon de papier, avec beaucoup de retenue.

Un jour j'ai "lâché" mon dessin. Il était certes maladroit et inachevé mais je m'y suis reconnue.

A partir de ce moment là, j'ai cessé d'utiliser des médiums effaçables. Je me lance sur la page blanche au feutre indélébile comme pour conjurer ma peur. Je ne tente pas d'anticiper le dessin à venir. Ma pensée se forme en même temps que l'encre coule. Je dessine beaucoup d'histoires mais sans conception préalable. Je découvre mon croquis en même temps que je le construis. Il m'arrive souvent d'être surprise en découvrant ce qui prend forme sur la feuille. C'est comme si ma pensée se traduisait sur la page blanche, sans que je puisse la deviner.

Quand je prends mon crayon, je pense, et les idées s'agitent avec l'encre. Il me faut souvent des mots pour commencer, puis le reste se met en image. La forme du récit est récurrente. C'est ma façon de réfléchir le monde. Sur mes croquis, j'associe des mots, des phrases qui s'agencent dans le dessin pour ne faire qu'un. Au final, je dessine très rapidement, car je suis le fil de mes pensées. Je ne m'attache pas aux détails mais j'avance à grands traits. On peut dire que j'ai le dessin impatient.

Impossible pour moi de faire un projet sans dessiner. J'ai besoin de poser des étapes sur la feuille, d'avancer la réflexion. Les feuilles de calques sont propices à ce cheminement itératif. Je reviens sur les croquis, j'entasse les informations. La question du temps est importante dans le projet de paysage. Il doit sans cesse être adapté et évoluer. Un projet c'est toujours dur à mener. Les doutes apparaissent et il m'arrive d'être timide à l'idée de proposer un dessin, comme si l'argument en était trop faible.

Paradoxalement je dessine très peu de paysage, la figure humaine m'intéresse plus, même pour parler d'espace. C'est une tentative désespérée pour saisir le réel par son côté humain. Pour dessiner le monde, je fais des cartes. Cela me plaît : tout est là, un peu caché. Lorsque j''élabore une carte, j'utilise toujours des feuilles transparentes. Je les accumule, les unes sur les autres. Je sépare les informations ou je les combine. Une carte simplifiée me montre à chaque fois un espace sous un angle différent. C'est une façon de recomposer le réel. J'ai parfois le sentiment de refaire l'espace, à ma manière. Par cette imbrication des dessins, les cartes me racontent une histoire elles-aussi. Un récit qui va du passé au présent, et qui ouvre sur le futur.

Les paysagistes font souvent des cartes sensibles, proposant une version de la réalité différente de celle de l'IGN. Ces cartes font la place aux paysages oubliés et à ce qui a moins d'importance aux yeux des gens. Les responsables politiques sont souvent surpris par ces cartes, ils reconnaissent un territoire mais le redécouvrent aussi. Par la carte, ils peuvent imaginer une autre approche de la réalité, un autre possible. C'est un premier pas vers le projet. Dessiner une carte, en somme, c'est révéler ce qui est déjà là mais qui est invisible, un peu comme ce monde, brouillé d'images où tout s'efface. A travers la carte, je prends le temps d'écouter un lieu, de le décortiquer. Le dessin c'est du temps, un instant, une question en suspens, une pause et à la fois un mouvement.

Je me pose des questions, aussi je dessine souvent. Furtivement le matin, ou bien entre deux changements de métro. Dans la journée quand je fais un projet, et surtout le soir lorsque ma tête fourmille de choses qu'il me faut évacuer sur une feuille. Dessiner, c'est ma façon de m'opposer et de réagir au monde. Dans chaque bout de croquis je peux voir la présence de possibles, je m'y projette. Arrêter de dessiner, ce serait abandonner ma révolte contre le monde et ma volonté de le changer.

La démarche de projet est une longue quête, bredouillée en dessin et parcourue en carte. Elle me fait découvrir les lieux et les gens, puis par le dessin, je déroule le fil de ma pensée et mon questionnement.

Les documents joints sont extraits des prémices de mon diplôme de paysagiste. J'y traite la question d'un quartier périphérique de Metz : Borny. Cette banlieue reniée de tous, me fait rêver. Les étapes de ma réflexion se déroulent en quatre étapes : Les questionnements ou le champ des possibles, le constat de la réalité fragmentée, l’histoire du quartier et des gens, et enfin, l’amour des lieux et les projets.

Chloé Francisci