La pratique de l’écriture plastique
« L’art procède à la manière d’un langage avec sa grammaire, sa syntaxe, ses conventions, ses styles, ses classiques ». Michel Onfray, L’antimanuel de philosophie, Éditions Bréal, 2001.
Je rapproche la pratique du dessin au processus de fabrication du texte et de l’écriture. L’écriture apparaît comme un mécanisme proche du mouvement de la pensée, qui relie, ordonne des éléments (verbaux ou visuels). Cette mécanique nous renvoie à l’acte conscient de construction, l’acte de créer. Elle est le moteur d’une recherche formelle.
Écrire, c’est relier des formes. L’écriture doit être envisagée comme une forme de construction particulière, groupant et dispersant les objets. Dans un mouvement cyclique et continu, elle construit jusqu’à déconstruire, et déconstruit pour reconstruire, pour écrire. C’est une pratique qui est toujours en transition, et c’est précisément ce qui est intéressant dans les formes qu’elle propose. Elle compose avec les formes pour faire naître d’autres formes, comme on compose un texte typographique. L’élaboration de l’écriture est proche de l’élaboration de la pensée : l’assemblage et la juxtaposition d’éléments génère la forme.
Puisque écrire, c’est « tracer des signes », nous pouvons considérer les lettres de l’alphabet comme des objets à combiner, comme peuvent l’être la ligne, le point ou la courbe qui sont les propriétés du dessin. Il est possible alors d’imaginer un alphabet de motifs, de matières, de textures, de formes issues du visible ou non, telle une bibliothèque de formes, à l’image de la Bibliothèque de Babel imaginée par Borges, qui, une fois agencées les unes aux autres, s’organiseraient en des ensembles, représentant des idées dans un langage analogue à notre langage. L’alphabet n’est alors plus le seul fondement de l’écriture. Il nous est possible de combiner une infinité de formes particulières.
L’étude des formes
« On substitue un ordre à un autre qui est initial, quels que soient les objets qu’on ordonne. Ce sont des pierres, des couleurs, des mots, des concepts, des hommes, etc. » Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Coll. « Idées », Éditions Gallimard, 1957, p.41.
Le dessin est un moyen possible pour expérimenter des écritures, qui ne passent pas nécessairement par l’usage des mots.
Le dessinateur devient un opérateur qui met en oeuvre ce mécanisme d’écriture. Cela apparaît comme une nécessité : l’écriture est au centre et questionne non pas que penser, mais comment penser.
Ma pratique du dessin interroge l’émergence et la manipulation des formes, c’est-à-dire, ma conception de l’écriture. Cette écriture par le dessin se développe selon un ensemble composite, fait de formes récurrentes et de fragments : il ne s’agit pas de reproduire les formes du monde visible, mais plutôt de relever/prélever la matière même.
Depuis quelques années, je constitue un univers visuel à partir d’éléments issus de certaines formes du paysage. À travers les matières minérales, végétales, la figure humaine, les éléments du paysage, je compose une construction spatiale étrange et poétique. Tout ce travail de mise en relation de formes, d’écriture avec et par les formes, offre une lecture complexe de la représentation des objets dans l’espace.
Evelise Millet