La marche sensible
Je me souviens de ce bâtiment très clairement : ses couloirs et ses escaliers, ses grandes salles et leur plafond haut, ses fenêtres et leurs vues. Chaque partie de ce labyrinthe s’agence l’une après l’autre, de gauche à droite, de bas en haut. A la fin du parcours les lignes qui retracent ces espaces ont gardé peu de choses : une forme approximative de l’ensemble.
Une image fantôme du bâtiment que la main arbitre, au mieux fidèle à l’image du souvenir, au moins tendue à l’humeur du dessinateur.
Ce qui est indicible par la ligne, l’écriture peut l’exprimer : des paroles captées dans le bruit de la foule, le geste fort d’un passant, une réflexion personnelle brève, des couleurs intenses…
Chaque élément de l’espace ou n’importe quel détail de l’architecture peut ressurgir sur la feuille, mais l’orientation du souvenir suit celle des pieds : la mémoire de la marche est le fil constructeur du dessin. La vue, l’ouïe et le toucher lui sont subordonnées.
Je pratique le dessin comme la construction, quand la ligne est un mur elle divise les espaces, quand elle est une porte elle rejoint, quand elle est une pièce elle contient.
Ce travail me sert avant tout à restituer une approche sensible du lieu, c’est la vie qui grouille en lui que je retiens par ces dessins. Les parcourir à nouveau m’inspire profondément comme la marche elle-même nourri mon art.
J’ai réalisé le premier dessin de mémoire d’un musée dans le projet de transposer cet espace dans une autre salle avec de la terre. Le souvenir d’une rencontre au Centre Pompidou m’a inspiré une sculpture et au Mont Saint Michel, je prévois une performance réalisée avec des arceaux de métal. Ce sont des documents précieux pour ma pratique artistique.
Julien Rodriguez