Dessiner c’est faire entendre ce que les mots n’arrivent pas à exprimer.
Le dessin est fondamental pour le projet, c’est lui qui nous donne à voir ce que nous avons senti, vu, absorbé d’un site mais que nous n’avons pas encore compris et assimilé. C’est dans ce temps de la surprise du dessin que naissent les idées.
Se laisser surprendre par la main, la sienne c’est là où réside la capacité des créateurs, leur richesse.
Il y a plusieurs manières de se surprendre, les trois images que j’ai choisi d’isoler montrent les trois expériences que j’aime à faire.
- Le croquis sur site où l’oeil sélectionne ce qu’il veut nous faire retranscrire en passant par des outils de représentation, que bien souvent seuls lui et nous connaissons. Se trouve alors sur le papier notre réalité. L’image subjective au temps T du dessin disparaît au profit de notre vérité perçue. Elle porte en elle un certain nombre d’actions que nous ne connaissons pas encore.
- La cartographie, cette phase de travail est pour moi la plus passionnante, je la vois comme un interrogatoire de police, comme dans une série américaine. Il faut faire parler la carte, le fond de plan sorti tout chaud de l’imprimante. Le disséquer, le décortiquer pour lui faire avouer ce qu’il cherche à cacher, ce dont on a besoin pour faire naître le projet.
- Le passage par la métaphore est pour moi essentiel pour dépasser ma peur du terrain physique. La trivialité d’un trottoir, d’une route ou d’un immeuble me paralyse dans les premiers temps du projet. Alors je mets en place des trucs, des métaphores pour trouver le concept, l’idée directrice qui portera le projet.
Je me suis rendu compte de cette manie de me voiler la face il n’y a pas si longtemps. Prendre conscience de ce détour quasi-systématique m’a permis d’être beaucoup plus décomplexée dans la création. C’est une manière de faire, pas un autisme, le piège étant de se laisser emporter par la fascination graphique, si tout ce remue ménage devient des images, l’expérience est alors stérile.
Je suis fascinée par la couleur, sa lumière, je me suis rendue compte de ça il y a deux ans, c’est pour cela, je pense, que depuis cette période mon outil de prédilection est le crayon. J’ai dans ma trousse tous les Faber Castels qui existent mais ce n’est pas assez. Il manque des couleurs, des nuances; alors je les mélange, les superpose.
Mes croquis cherchent la couleur, je ne fais jamais de contours au crayon, le dessin naît par les surfaces et non pas les limites.
Ce qu’on peut-y reconnaître m’importe assez peu, ce que l’on y ressent, l’émotion de l’atmosphère colorée c’est ça qui m’importe.
En faisant ce dossier j’ai également appris quelque chose sur ma manière de travailler. Quasiment tous les documents choisis parlent des rapports de densité dans l’espace. De la manière dont une chose «dure» se place à côté d’une chose «molle», de comment nous passons du plein au vide, du tissu au champ, de l’échelle du pavillon à l’échelle de la plaine.
Ce questionnement trouve sa légitimité dans le sujet de mon diplôme: Comment fait-on la transition entre le rebord du village, la haie du jardin de la Maison Castor construite en 2002 avec un crédit sur 20 ans et la grande plaine millénaire cultivée depuis que le monde et monde et qui laisse voir des paysages sur 27 km sans un seul obstacle vertical?
Comment ?
Manon Hazebrouck