





Ma pratique du dessin est liée à mon habitude de glaner des fragments d’objets, souvent non identifiés, qui m’intriguent par leur facture, leur mécanisme, les motifs qu’ils composent mais aussi pour les raisons - inconnues - qui les ont conduits à tel endroit dans tel ou tel état.
L’environnement urbain, dans lequel je vis essentiellement, regorge d’aménagements provisoires et de compositions involontaires qui relèvent aussi bien d’activités humaines que non humaines. Parfois les gestes qui les ont produits restent perceptibles, mais souvent il est presque impossible de deviner le moment de leur construction. Quelqu’un s’en occupe-t-il encore?
Passer par le dessin permet de retourner sur ces lieux, de les revisiter, les observer autrement, selon ce que ma mémoire a préservé ou déformé. Contrairement à la photographie, garder en tête ces formes pour les dessiner plus tard n’interrompt pas la marche, elles ne sont pas figées, elles évoluent au fil du déplacement dans l’espace jusqu’à disparaître de mon champ de vision.
Je fais le choix de ne jamais prendre de photographies. Je considère que dessiner à partir d’images fixes fausse la restitution d’une expérience.
Ma démarche est de mettre mes sens au service de l’observation afin de restituer l’essentiel d’un souvenir, avec ses oublis et ses imperfections.
Je dessine essentiellement avec une mine de plomb. C’est une matière friable, assez tendre ; les possibilités du dessin évoluent ainsi rapidement et de nombreuses fois au fur et à mesure de l’usure de la mine. Cela permet d’explorer d’autres gestes que celui du dessin du bout des doigts, où seul le poignet est mobile et d’appréhender l’image par sa masse plutôt que par son contour. La mine de plomb roule, s’écrase, glisse, gratte, frotte le papier. Ma pratique du dessin s’assimile davatantage à de la sculpture qu’à un travail de tracé. L’image se révèle à travers des textures maîtrisées et d’autres aléatoires. Ces techniques me permettent de sortir du dessin de recherche plus conventionnel que j’emploie au cours de mes projets de design, de trouver d’autres moyens d’expression et de remettre en question des habitudes de représentation qui tendent à formater les objets et les espaces que nous créons par la suite : décrire un mouvement, une opacité, une masse plutôt que des arrêtes lisses, une structure rigide et des formes euclidiennes.
Les nombreuses nuances de gris que permet la mine de plomb laissent supposer l’origine de la lumière, deviner les couleurs, évoquer des textures.
Ces images sont comme des fantômes, des rencontres dont je souhaite me souvenir, des empreintes d’actions incertaines.
